Bkerké -
Sfeir demande un repli syrien sur la Békaa
Le patriarche maronite pour un échange dambassadeurs entre le Liban et la Syrie
Le patriarche maronite est revenu à la charge : La longue présence de larmée syrienne au Liban alimente les craintes dune dissolution de lidentité libanaise. (14/11/2000)
Revenant à la charge avec plus
de force et de clarté que jamais, le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Boutros Sfeir, a
demandé hier le repli de larmée syrienne sur la Békaa, en application des
dispositions de laccord de Taëf (1989), et létablissement de relations
diplomatiques normales entre le Liban et la Syrie.
Le cardinal Sfeir sexprimait à louverture de la 34e session de
lAssemblée des patriarches et évêques catholiques au Liban, qui se tient entre
les 13 et le 18 novembre, au siège patriarcal de Bkerké.
La présence longue dun quart de siècle de larmée syrienne au Liban alimente
les craintes dune dissolution de lidentité libanaise, ou du moins de
lannexion du Liban par la Syrie, a déclaré le patriarche Sfeir, qui a comparé
cette situation à lAnschluss (ndlr : rattachement de lAutriche à
lAllemagne imposé par Hitler en 1938).
De même, Mgr Sfeir a réfuté la thèse selon laquelle la présence syrienne au Liban est
une composante incontournable du paysage politique interne. Le dire, cest
transformer le caractère «provisoire» de cette présence en un aspect permanent, a-t-il
estimé.
Par ailleurs, Mgr Sfeir a rapidement évoqué les abus commis au Liban au nom des
relations historiques entre les deux pays, et plus précisément au nom du traité
damitié, de coordination et de coopération ( 1991) signé avec la Syrie :
hégémonie syrienne sur toutes les institutions, octroi de la nationalité libanaise à
des Syriens, effacement de la diplomatie libanaise et, dernier exemple en date de ces
abus, entrée sans concours des étudiants syriens à lUniversité libanaise.
Bkerké, rappelle-t-on, avait dénoncé la signature de ce traité entre deux parties,
affirmant que le Liban ne jouissait pas, au moment de la signature, de sa liberté de
consentement pleine et entière.
Ce traité avait toutefois été interprété par les alliés de Damas au Liban comme une
reconnaissance de jure par la Syrie de la souveraineté du Liban. Toutefois, cette
reconnaissance ne sest jamais traduite par un échange dambassadeurs entre les
deux pays.
Par la voix du nonce apostolique, le Saint-Siège a semblé confirmer les sentiments
manifestés par le patriarche Sfeir. Mgr Antonio Maria Veglio a exprimé sa conviction que
le Liban récupérera son «indépendance totale» et ses «droits fondamentaux», grâce
à ses «immenses énergies personnelles, communautaires, institutionnelles et
charismatiques».
Se référant directement au communiqué de lAssemblée des évêques maronites
publié le 20 octobre dernier, le patriarche a déclaré :
«Nous ne voulons pas nous arrêter sur la question des déplacés qui paraît être sujet
de soin particulier, et dune promesse de règlement dans un délai limité, et
cest ce que nous espérons. Nous ne parlerons pas non plus du Liban-Sud et de ses
habitants qui vivent dans la misère, la souffrance et langoisse, qui se sentent
sans protection de la part dune armée qui leur appartient et à laquelle ils
appartiennent. Car, jusquà ce jour, les responsables concernés refusent
denvoyer cette armée pour étendre la souveraineté de lÉtat sur son
territoire, et ce pour des motifs qui nont pas convaincu lOrganisation des
Nations unies. Nous avons déjà abordé le sujet de la crise économique et de
lintense émigration quelle a provoquée, et la grande gêne quelle a
causée aux individus qui ne trouvent pas de travail, et aux familles incapables de
subvenir aux besoins élémentaires de la vie comme la nourriture, les médicaments, les
vêtements et les écoles pour leurs enfants.
«Mais nous voulons revenir au sujet de lappel que nous avons lancé le 20 du mois
dernier, qui touche la présence de larmée syrienne au Liban depuis un quart de
siècle. Nous avons dit quil était temps de redéployer cette armée conformément
au texte du document de laccord national. Selon ce document, ce redéploiement doit
être fait en un temps déterminé (2 ans), et dans un lieu déterminé (Békaa). Ce
redéploiement est une affaire tranchée légalement, même sil nest pas
réalisé sur le terrain, car aucune des parties ne peut le légitimer parce que les
positions politiques ne peuvent contredire ni annuler les documents essentiels fondateurs
dans la vie de lÉtat. Le redéploiement de larmée prépare son retrait total
en exécution de laccord de Taëf. Nos paroles découlent de sentiments
damitié que nous voulons maintenir entre les deux pays. Nous voulons même que
cette amitié se développe et senracine pour le bien des deux peuples.
«Cette longue présence alimente les craintes que certains Libanais et non-Libanais
continuent à éprouver devant des propos répétés depuis un certain temps dans des
milieux responsables, en Syrie, comme : le Liban nexiste ni du point de vue de
lhistoire, ni de celui de la géographie, ou que les frontières du Liban sont
artificielles et tracées par le mandat français, ou que le peuple libanais et le peuple
syrien sont un seul peuple dans deux pays. Ces propos peuvent aboutir à lannexion
dun pays par lautre pour quils soient un seul peuple dans un seul pays,
comme cela est arrivé à lAutriche avec lAllemagne il ny a très
longtemps (Anschluss). Aujourdhui, nous entendons dire que si larmée syrienne
se retire du Liban, une guerre civile éclatera, ou que sa présence est une composante de
la paix civile, ou que sa présence garantit léquilibre dans ce pays. Cela est une
preuve que sa présence est plus que temporaire.
«Noublions pas non plus la nationalité libanaise qui été accordée à de très
grands nombres de Syriens, qui ont tout de suite obtenu le droit de vote, alors que les
Libanais émigrent. Ajoutons à cela lhégémonie syrienne sur toutes les
institutions libanaises. Ce qui entraîne peu à peu labsence du Liban sur le plan
international, car il est devenu sans liberté de décision, sans souveraineté et sans
indépendance. Les nombreux accords découlant du traité de fraternité, de coopération
et de coordination ont renforcé ces craintes.
«Il sest avéré quils sont tous dans lintérêt dun seul parti
même dans le domaine culturel qui est la seule richesse du Liban. En voici un exemple
flagrant : les étudiants syriens sont dispensés des examens dentrée dans les
facultés de sciences appliquées comme la médecine, larchitecture, la pharmacie et
ce, suite à une demande syrienne officielle que le gouvernement libanais a favorablement
accueillie, depuis presque un mois, alors que les étudiants libanais ne peuvent
sinscrire dans ces facultés quaprès des examens, conformément aux lois, ce
qui est une bonne chose. De plus, lécart dans le nombre détudiants
bénéficiaires des deux côtés est dans lintérêt de lune des parties. Ce
comportement nentraîne-t-il pas labaissement du niveau de
lenseignement, et en conséquence le manque de confiance dans les universités
libanaises, alors que nous devons élever ce niveau ? Cela est un exemple. Ces craintes ne
méritent-elles pas dêtre examinées et dissipées, si elles ne sont pas fondées,
et si elles sont vraiment le fruit de la peur et de lillusion.
«Il est temps déclaircir les relations entre les deux pays par
létablissement de relations diplomatiques franches, comme tous les pays qui
jouissent de souveraineté, dindépendance et de décision libre.
«Si nous revenons encore une fois sur ce sujet, cest parce que ses dangers sont
nombreux pour les deux parties, et nous voulons que la confiance se consolide entre elles,
que les craintes se dissipent. Espérons que latmosphère séclaircira et que
sétabliront des relations damitié, de coopération et de bonne coordination
dans lintérêt du Liban et de la Syrie.
«Nous voulons espérer que les responsables, chez nous, se montreront solidaires du peule
libanais, quils comprendront ses sentiments et uvreront pour la réalisation
de ses souhaits. Nous prions Dieu quIl leur assure le succès dans les lourdes
tâches qui leur sont confiées et quIl nous conduise tous à accomplir sa volonté
et à bénéficier de ses bénédictions».
La situation régionale
Par ailleurs, abordant la situation régionale, le patriarche a déploré
latmosphère de «rancune ignoble et de haine meurtrière» qui marque les
affrontements dans les territoires autonomes. Le cardinal Sfeir a cité au sujet du
problème palestinien le pape Jean-Paul II affirmant : «La paix ne pourra être juste et
durable que si elle repose sur un dialogue loyal entre partenaires égaux, dans le respect
de lidentité et de lhistoire de chacun, si elle repose sur le droit des
peuples à la libre détermination de leur destin, de leur indépendance et de leur
sécurité. Il ne peut y avoir dexception».
Après avoir constaté que ces éléments manquaient cruellement au dialogue en cours
entre Palestiniens et Israéliens, le patriarche sest prononcé en faveur dun
statut particulier internationalement garanti par les Nations unies pour Jérusalem,
position déjà affirmée par le Saint-Siège. Ce statut, a-t-il dit, devra notamment
garantir la liberté daccès aux Lieux saints, la liberté de conscience, le respect
de lidentité de la ville et de son caractère sacré.
Lintervention de Mgr Veglio
Pour sa part, prenant la parole à linauguration des travaux de lAssemblée,
le nonce apostolique, Mgr Antonio Maria Veglio, a exprimé sa conviction que le Liban
parviendra à «surmonter ses problèmes» et à recouvrer sa «pleine indépendance».
«Les défis ne sont pas faciles, a dit le nonce. Mais avec votre détermination loyale et
salvatrice, avec vos immenses énergies personnelles, communautaires, institutionnelles et
charismatiques, vous pourrez surmonter les problèmes qui surgissent quotidiennement : la
mondialisation, les difficultés économiques, la totale indépendance, les libertés, les
droits fondamentaux, le monde des jeunes et leurs soucis de lavenir, le chômage,
lémigration, la crise des murs... Une tâche pastorale dune telle
ampleur nécessite bien sûr de la lucidité dans lanalyse des situations afin que
lannonce du Christ Sauveur imprègne les personnes et les structures, dans une
nouvelle civilisation qui rétablisse léquilibre, grâce à un amour créatif et
social, entre tous ces déséquilibres flagrants, fruit dune civilisation de
légoïsme.
«À lexemple de la réponse donnée par Jésus à la requête qui lui avait été
adressée par ses disciples afin de savoir comment interpréter les signes des temps, nous
devons collaborer ensemble, et être attentifs aux souffrances des hommes, à la
nécessité de les combattre sans nous réfugier dans des tentatives de justification
nationaliste ou idéologique.
«Votre Assemblée aujourdhui est une réponse concrète à lappel du
Saint-Père dans son Exhortation postsynodale Une espérance nouvelle pour le Liban : «Il
est urgent que lAPECL élabore une pastorale densemble dans les domaines où
les différentes Églises patriarcales catholiques peuvent exercer conjointement leurs
responsabilités et leur action pastorale. Une telle concertation, dûment réfléchie et
soigneusement préparée, amènera à prendre des décisions dintérêt commun, qui
conduiront les membres de lAPECL à sengager ensemble dans laction
pastorale. Il importe que les commissions soient réorganisées pour devenir plus
opérationnelles et pour être véritablement au service de la mission de
lÉglise».
«Je suis sûr que lÉglise catholique au Liban, si privilégiée malgré ses
souffrances, est profondément consciente de sa mission et de la nécessité de
souvrir à ses frères et à répondre joyeusement à la vocation propre à toute
Église particulière de créer des liens fraternels, selon lexemple de la première
communauté chrétienne de Jérusalem» (...)
«En recevant le nouvel ambassadeur du Liban près le Saint-Siège, a encore dit Mgr
Veglio, le Saint-Père a dit dans son discours : En poursuivant avec détermination
leurs efforts pour affermir des relations toujours plus fraternelles avec les fidèles des
autres Églises et communautés ecclésiales ainsi quavec les membres des religions
monothéistes, en particulier avec les musulmans, les patriarches, les évêques et les
fidèles des communautés catholiques du Liban contribuent à édifier un Liban nouveau,
capable de dépasser les incompréhensions et de rechercher dabord le bonheur et la
prospérité pour tous ses enfants. Quen demeurant fermement attachés à leur
terre, ils continuent à travailler sans relâche, avec tous leurs compatriotes, à servir
le bien commun, en tirant de leur foi leur inspiration et leurs principes de vie, pour
être témoins des valeurs évangéliques dans la société».