Amesty International report on Detainees in Syria Issued on 27/1/1999
Caught in a Regional Conflict: Lebanese, Palestinian and Jordanian Political Detainees in Syria.
Copy rightt ...Amnesty International (htt://www.amnest.org)
Tripoli pour vivre quelque temps dans un village avant de quitter le Liban. Rentré dans son pays en 1988, Jamal al Bayruti avait sollicité la protection de Shaykh Said Shabaan, dirigeant du MUI, qui l'avait apparemment aidé à reprendre ses activités commerciales à Tripoli. Un jour où Jamal al Bayruti se trouvait dans son magasin et se préparait à se rendre à la mosquée pour le prêche du vendredi, un officier syrien accompagné de quelques soldats lui a ordonné de le suivre aux fins d'interrogatoire. Il a refusé et une alter-cation aurait suivi avec les soldats syriens. Un officier syrien a été tué et un autre blessé. Jamal al Bayruti a également été blessé. Malgré l'intervention de Shaykh Said Shabaan, il a été emmené à l'École américaine de Tripoli, où il aurait été torturé et notamment soumis aux traitements du ballanco et du dullab pendant une quinzaine e jours. Il a ensuite été emmené à Fara Falastin, en Syrie. Sa famille a eu de ses nouvelles jusqu'en 1992 par l'intermédiaire d'anciens prisonniers. L'un de ses codétenus a récemment déclaré à ses proches qu'un jour de 1992 les gardiens avaient appelé Jamal al Bayruti. Celui-ci était parti sans emporter ses affaires personnelles et n'était jamais revenu. On ignore tout du sort de cet homme. Tanios Youssef Elias, membre du parti Kataëb, était âgé de quarante-trois ans au moment de sa « disparition », le 10 février 1978. Ce jour-là, des affrontements avaient éclaté entre des bataillons de l'armée libanaise et les forces syriennes stationnées au Liban. L'épouse de Tanios Elias a fait le récit suivant : « J'ai essayé de savoir où il était et je l'ai cherché partout, jusqu'au jour où des gens m'ont dit qu'il avait été emmené par l'armée syrienne. Nous avons retrouvé sa voiture abandonnée et complètement démontée dans le quartier de Hazmieh à Beyrouth. Je me suis mise à pleurer en pensant que mon mari avait été tué, mais des soldats syriens qui étaient tout près de là [à un barrage] sont venus me montrer un registre sur lequel figuraient son nom et la date de son arrestation. Je suis allée voir l'officier responsable, qui a confirmé que mon mari avait été arrêté à son barrage et qu'il y était resté trois jours avant d'être emmené par les services de renseignements militaires syriens. L'officier m'a remis les papiers de Tanios et son portefeuille. Je n'ai pas eu de nouvelles de lui depuis cette date. » Le 13 octobre 1990 Des cas de « disparition » sur une plus grande échelle ont été signalés dans le cadre d'affrontements armés importants. Ce fut notamment le cas le 13 octobre 1990, date à laquelle le général Aoun a été chassé par une force composée principalement de soldats syriens. Le 9 octobre 1990, le gouvernement libanais a décidé de solliciter l'aide de l'armée syrienne pour déloger le général Aoun de son fief de Beyrouth-Est, qui comprenait essentiellement Baabda et les deux districts du Metn. Le 13 octobre 1990 à 7 h 5, l'aviation syrienne aurait bombardé des positions du général Aoun ; cette attaque aurait été suivie par des tirs d'artillerie nourris. À 9 h 30, le général Aoun, qui s'était entre-temps réfugié à l'ambassade de France, est intervenu à la radio pour ordonner à son état-major d'obéir désormais au général Émile Lahoud, nommé commandant en chef en 1989 par le gouvernement Hraoui. Des tirs sporadiques ont continué jusqu'au début de l'après-midi. Les troupes syriennes ont encerclé le fief des partisans du général Aoun avant d'y pénétrer en cinq endroits différents. Quelques unités ont continué de résister à l'avance des troupes syriennes, même après avoir reçu l'ordre de se rendre, mais la plus grande partie de l'armée loyale au général Aoun a obéi aux ordres. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, Amnesty International a recueilli des témoignages faisant état de violations des droits humains imputables aux soldats syriens, notamment d'exécutions extrajudiciaires et de placement en détention au secret de partisans du général Aoun. Au moins 30 d'entre eux, des soldats pour la plupart, auraient été sommairement exécutés après avoir été capturés par les troupes syriennes les 13 et 14 octobre 1990. Des homicides de civils ont également été signalés dans plusieurs villages de la banlieue de Beyrouth-Est. C'est ainsi que, à Bsous, 19 personnes au moins auraient été arrêtées à leur domicile et sommaire-ment exécutées par des soldats syriens. Dix-neuf autres personnes, dont trois femmes, auraient en outre été tuées à Hadeth. On a également signalé l'arrestation par les forces syriennes à Beyrouth-Est et dans sa banlieue d'au moins 200 parti-sans du général Aoun, principalement des militaires. Dans des appels aux autorités syriennes et libanaises, l'Organisation a exprimé sa préoccupation à propos des informations faisant état d'exécutions extrajudiciaires. Elle a prié les deux gouvernements d'ordonner immédiatement l'ouverture d'enquêtes impartiales dont les conclusions seraient rendues publiques et de déférer à la justice les auteurs de violations graves des droits fondamentaux. Amnesty International a également déploré le maintien en détention au secret de plus de 150 partisans du général Aoun capturés au cours des combats ou arrêtés par les forces syriennes au moment où le général Aoun a été chassé de Beyrouth-Est. La plupart des prisonniers ont été libérés dans les mois ou les années qui ont suivi. On reste pourtant sans nouvelles, plus de huit ans après les événements du 13 octobre 1990, de certaines des personnes capturées par les forces syriennes. Le sort d'au moins 20 soldats et de deux prêtres, qui ont apparemment été arrêtés ou enlevés après ces événements dans différents endroits par des militaires syriens, n'a pas été élucidé. Le ministère libanais de la Défense a confirmé à certains proches des soldats que ces derniers avaient été faits prisonniers par les forces syriennes et transférés en Syrie. Les familles n'ont toutefois reçu aucune indication sur le sort de leurs proches et elles n'ont bien entendu pas été autorisées à leur rendre visite. On ignore si les autorités syriennes les considèrent comme des prisonniers de guerre, auquel cas ils relèveraient des dispositions des Conventions de Genève de 1949, ou comme des prisonniers politiques. Dans ce cas, le gouvernement syrien devrait clarifier les bases juridiques et les conséquences de leur arrestation et de leur maintien en détention, et indiquer s'ils ont été inculpés et jugés. Les cas exposés ci-après et qui se sont apparemment tous produits le 13 octobre 1990 sont représentatifs de cette catégorie de « disparitions ».
Johnny Salim Nassif, caporal de l'armée libanaise né en 1974, a « disparu » après avoir été arrêté par les forces syriennes à Daher al Wahesh. Sa famille a reçu un an après sa « disparition » la confirmation de son incarcération en Syrie. La mère de Johnny Nassif a déclaré : « Les armées syrienne et libanaise ont nié pendant un an que mon fils était détenu dans une prison syrienne alors qu'une de mes connaissances l'avait reconnu dans un convoi de camions remplis de prisonniers qui se dirigeait vers Damas. En 1991, un communiqué du ministère de la Défense a confirmé qu'il était emprisonné en Syrie avec d'autres soldats. J'ai rencontré depuis cette date plusieurs personnalités syriennes et libanaises, mais personne ne m'a aidée à rencontrer mon fils en Syrie ni à le faire transférer au Liban. [Une fois], j'ai obtenu un permis pour lui rendre visite en prison en Syrie. J'y suis allée au moment fixé et l'officier a envoyé un de ses lieutenants chercher mon fils dans sa cellule mais, quand ils ont réalisé qu'il faisait partie du groupe de soldats du 13 octobre 1990, ils m'ont dit qu'il n'était pas là. » Tanios Camille al Haber, sergent de l'armée libanaise né en 1965, a « disparu » après avoir été arrêté par les forces syriennes à Ein Saadeh. Sa détention en Syrie a été confirmée par l'armée libanaise le 17 octobre 1990. La mère de Tanios al Haber a déclaré : « Mon mari l'a vu de loin à Fara Falastin six mois après son arrestation, mais il n'a pas été autorisé à lui parler. On nous a ensuite réclamé une forte somme d'argent pour le voir. Nous n'avions pas les moyens [et donc] nous n'avons pas pu le rencontrer. Nous ne savons pas s'il est toujours à Fara Falastin ou non [...]. » Antoine Zakhour Zakhour, soldat de l'armée libanaise né en 1963, a « disparu » après avoir été arrêté par les forces syriennes à Beit Meri. Sa détention en Syrie a été confirmée à sa famille par le ministère libanais de la Défense le 22 octobre 1990. Le père de cet homme a déclaré : « Une personne que je connais m'a autorisé à rendre visite à mon fils [en Syrie]. Toutefois, quand je suis allé à Damas, un officier des services de renseignements syriens m'a demandé pourquoi l'État libanais ne le recherchait pas, et il a ajouté que seul le président Assad pouvait ordonner sa remise en liberté. Je n'ai jamais réussi à voir mon fils, pourtant j'ai versé beaucoup d'argent. » Jihad George Eid, soldat de l'armée libanaise et étudiant né en 1970, a « disparu » après avoir été arrêté par les forces syriennes à Sainte-Thérèse, dans le quartier de Hadeth à Beyrouth. Sa mère a affirmé que deux membres des services de renseignements de l'armée libanaise s'étaient présentés le 1er février 1995 à son domicile, où se trouvaient plus de 10 personnes. Elle a ajouté : « Ils m'ont dit que mon fils était détenu dans la prison militaire de Mezzé et m'ont demandé d'aller au ministère libanais de la Défense avec les familles de 16 autres soldats libanais détenus en Syrie, pour avoir de plus amples renseignements sur mon fils. Quand j'y suis allée le lendemain, tout a été nié : la présence de mon fils dans une prison syrienne, les 16 autres soldats et même la visite des deux hommes à mon domicile ! » Le père Suleiman Abu Khalil et le père Albert Sherfan ont également « disparu » pendant les événements du 13 octobre 1990. Le père Albert Sherfan était le supérieur du monastère d'Al Galah, à Beit Meri, et le père Abu Khalil en était le trésorier. On a signalé le 13 octobre 1990 que les forces syriennes avaient pris position à proximité du monastère en raison de sa situation stratégique dominant, entre autres, les districts du Metn. Les deux prêtres ont « disparu » le jour même ainsi que des soldats de l'armée libanaise qui s'étaient apparemment réfugiés dans le monastère. Le frère du père Suleiman Abu Khalil a fait le récit suivant : « Le monastère a été occupé par les forces syriennes le 13 octobre 1990. J'ai essayé en vain d'obtenir l'autorisation de rencontrer Suleiman. [Nous avons appris par la suite que] vers 10 heures, un officier syrien avait demandé à pénétrer dans le monastère pour boire un verre d'eau. Le père Suleiman était venu sur le balcon et un autre moine était sorti en même temps pour voir ce qui se passait. Les Syriens, apparemment surpris de voir qu'il y avait plusieurs moines dans le monastère, ont pensé que des gens s'y cachaient peut-être. Les officiers syriens ont donc téléphoné à toutes les autorités libanaises qu'ils ont réussi à joindre pour obtenir l'autorisation de fouiller le monastère. Quand ils sont entrés, ils ont découvert des soldats libanais en civil. Ils ont arrêté tous ceux qui se trouvaient là et ils ont emmené les soldats dans un camion et les prêtres dans une Range-Rover. Tous ont été conduits à Anjar puis à Fara Falastin, à Damas. Nous avons pris contact avec beaucoup de gens pour qu'ils interviennent en leur faveur mais nos efforts n'ont pas abouti. » Les « disparitions » survenues après la guerre Des cas de personnes « disparues » après avoir été arrêtées par les forces syriennes stationnées au Liban ont continué d'être signalés après la fin de la guerre, en 1990. Beaucoup de ces prisonniers ont été libérés mais on ignore tout du sort de plusieurs personnes. Khadija Yahya Bukhari, une chanteuse née en 1940, a été arrêtée à l'aéroport de Beyrouth le 28 avril 1992. Elle venait de rentrer de Chypre par bateau, mais elle s'était rendue à l'aéroport pour obtenir des informations à propos de son fils et de sa fille qui avaient été arrêtés à leur domicile avant son retour. Cette femme a été emmenée avec ses enfants au centre des services de renseignements syriens à l'hôtel Beau Rivage puis à Anjar. Ils ont ensuite été transférés dans les centres de détention de Fara al Tahqiq al Askari et de Fara Falastin, en Syrie. Le fils et la fille de Khadija Bukhari ont été remis en liberté mais on ignore tout de son sort à elle. Cette femme et son mari, un officier syrien, étaient apparemment soupçonnés de « collaboration » avec Israël. Elle aurait comparu devant un tribunal militaire, mais Amnesty International ne dispose d'aucune information sur le déroulement du procès ni sur la sentence prononcée. La famille de Khadija Bukhari a reçu des informations contradictoires : certaines sources laissent entendre qu'elle a été exécutée tandis que d'autres affirment qu'elle sera bientôt libérée à la faveur d'une amnistie. Dani Mansurati, né en 1959 et membre du parti Kataëb jusqu'en 1988, a « disparu » le 9 mai 1992 sur la place Arnus, dans le quartier de Shaalan à Damas. Il circulait en voiture avec son frère quand un véhicule les aurait doublés et aurait bloqué le passage. Trois hommes en civil se seraient approchés et auraient demandé au chauffeur de la voiture de partir. Ils auraient ensuite emmené Dani Mansurati à bord de leur propre véhicule. Comme dans d'autres cas similaires, des informations contradictoires sont parvenues à propos du sort de cet homme. Toutefois, en juillet 1994, le gouvernement syrien a informé le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires que Dani Mansurati avait été jugé pour espionnage et condamné à mort. Aucun détail n'a été fourni sur le déroulement du procès. Sa famille est sans nouvelles de lui depuis son départ pour Damas, et elle n'a reçu aucun éclaircissement du gouverne-ment syrien à propos de son sort et de son lieu de détention ; les autorités ne lui ont même pas indiqué s'il était toujours en vie. Butrus Khawand, membre du Bureau politique du parti Kataëb, a été enlevé non loin de chez lui, dans le quartier de Sin el Fil à Beyrouth, le 15 septembre 1992. Il avait quitté son domicile en voiture ce matin-là, vers 9 h 15, pour se rendre à une réunion du parti. Deux BMW et une camionnette auraient intercepté son véhicule à une centaine de mètres de chez lui. Huit à 10 hommes armés seraient descendus de la camionnette, ils auraient fait descendre Butrus Khawand de sa voiture et l'auraient emmené. On ignore tout du sort de cet homme malgré les nombreuses recherches effectuées par sa famille et ses amis. En 1997, un ancien prisonnier libanais a informé la famille de Butrus Khawand qu'il l'avait vu dans la prison d'Adhra ; cette information n'a toutefois pas été confirmée.
Les Palestiniens et les Jordaniens Des milliers de Palestiniens et un certain nombre de Jordaniens ont été arrêtés en Syrie depuis les années 60 pour des motifs politiques. La majorité d'entre eux ont été libérés en 1991-1992 à la faveur d'amnisties présidentielles. Plusieurs dizaines d'autres ont également été élargis dans les années qui ont suivi. Toutefois, très nombreux sont ceux qui sont toujours détenus dans les prisons syriennes ou ont « disparu » en Syrie. Ils ont été arrêtés au Liban, à la frontière syro-libanaise ou en Syrie. Si quelques-uns d'entre eux sont en détention non reconnue, la majorité ont apparemment « disparu » après avoir été arrêtés par les autorités syriennes ou par l'une des factions palestiniennes basées en Syrie comme Al Jabhah al Shaabiyya li Tahrir Falestin-Al Qiyyadah al Ammah (Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général, FPLP-CG), Fatah al Intifada ou Al Saïka (La Foudre). Il est possible que certains de ces prisonniers soient détenus pour des actes de violence, réels ou présumés, mais d'autres sont apparemment incarcérés du fait de leur appartenance politique. Les prisonniers sont le plus souvent détenus sans inculpation ni jugement, ou ont été condamnés à de lourdes peines d'emprison-nement à l'issue de procès sommaires qui se sont déroulés en secret. Les familles des « disparus » ont demandé à maintes reprises aux autorités syriennes des éclaircissements sur le sort et le lieu de détention de leurs proches mais elles n'ont jamais reçu de réponse circonstanciée.
Le scénario des « disparitions » Le 12 septembre 1985, des militants de l'OLP et du Fatah, Adnan al Dabak, Dhiab Sharif Dhiab, Nail Ismaïl Izzet et Mazin Abd al Karim al Fawaz, se sont rendus à Damas dans la voiture de ce dernier, chauffeur de taxi sur le trajet Amman-Damas. Aucun n'était revenu quelques jours ni quelques semaines plus tard de ce qui aurait dû être un bref séjour en Syrie. Leur absence se prolongeant, leurs familles ont entrepris des recherches. Après de nombreuses investigations et demandes d'infor-mations en Syrie et des contacts avec l'administration de l'OLP, elles sont parve-nues à la conclusion que les quatre hommes étaient probablement détenus en Syrie. Malgré tous leurs efforts et bien qu'elles aient versé des sommes d'argent à des « intermédiaires », les familles n'ont pas réussi à obtenir des autorités syriennes la confirmation de l'incarcération de leurs proches. Elles ont appris plusieurs années plus tard par l'intermédiaire d'anciens prisonniers que les quatre hommes étaient détenus dans des prisons syriennes. Usama Fakhri Mustafa Bzur, Ziad Mustafa Bzur, Mahmud Abd al Qadir Sabbah et Imad Ibrahim Abd al Hadi Hamad ont « disparu » en juillet 1988. Ces quatre étudiants en ingénierie dans les universités de Lattaquié et d'Alep sont apparem-ment partis pour Damas pendant la deuxième ou la troisième semaine de juillet 1998 ; on est sans nouvelles d'eux depuis cette date. Leurs familles n'ont appris qu'indirecte-ment, après avoir entrepris de nombreuses recherches et noué beaucoup de contacts, qu'ils avaient probablement été arrêtés en Syrie. Tous leurs efforts pour obtenir une confirmation officielle de leur incarcération ou connaître leur lieu de détention sont restés vains. Ces cas sont typiques des « disparitions » de nombreux Palestiniens et Jordaniens en Syrie survenues pour la plupart dans les années 80. Le scénario semble toujours le même : la famille et/ou les amis d'un individu perdent contact avec lui après sa « disparition » soudaine. Les recherches et les informations qui parviennent indi-rectement amènent les proches des « disparus » à conclure que ceux-ci ont proba-blement été arrêtés en Syrie. Les familles s'engagent alors dans un long processus de demandes d'informations, de recherches et de contacts pour tenter d'établir le sort de leurs proches et de connaître leur lieu de détention. Les parents des « disparus » palestiniens et jordaniens doivent, comme les Libanais, se rendre à maintes reprises en Syrie pour rechercher leurs proches. La famille finit par recevoir un appel ou la visite d'un ancien prisonnier qui affirme avoir vu leur proche en détention ou avoir entendu son nom. Amnesty International a recueilli de très nombreux récits simi-laires. Ce genre d'information parvient parfois à un moment où les familles ont perdu tout espoir de revoir ceux qui leur sont chers. Toutefois, même si leurs espérances et leurs attentes sont ravivées par les renseignements fournis par des anciens prisonniers, elles ne sont jamais sûres du sort de leurs proches « disparus ». Les efforts des familles pour savoir ce que sont devenus leurs proches et où ils se trouvent sont souvent réduits à néant, non seulement par les démentis persistants des autorités, mais aussi par les informations contradictoires qui leur parviennent de différentes sources. Ce n'est que lorsqu'elles ont réussi à rendre visite en prison à leurs proches « disparus » qu'elles peuvent être certaines qu'ils sont vivants. La mère de Mazin Abd al Karim al Fawaz a fait le récit suivant : « Pendant l'une de nos visites à Damas, un officier syrien des Mukhabarat [services de renseignements] m'a dit : "Votre fils a été exécuté il y a douze jours." [...] Je me suis immédiatement effondrée et on m'a emmenée en taxi. Plus tard, quelqu'un est venu me dire que cet officier avait menti, que mon fils était vivant et détenu à l'endroit même où j'avais rencontré cet officier. » Cette personne disait vrai : on a appris quelques années plus tard que Mazin Abd al Karim al Fawaz était vivant et sa famille a réussi à lui rendre visite (cf. ci-après). L'épouse d'un autre Palestinien « disparu » en 1985 a parlé dans les termes suivants de sa souffrance et de l'épreuve qu'avait représentée pour elle la « disparition » de son mari : « Quand il n'est pas rentré le lendemain [d'un séjour à Damas], j'ai téléphoné aux personnes chez qui il résidait et on m'a dit que le propriétaire de la maison avait été arrêté. J'ai ensuite perdu sa trace jusqu'en 1991, date à laquelle un ancien prisonnier m'a dit qu'il avait vu mon mari à la prison de Tadmor [Palmyre]. Certains disent qu'il a été condamné à quatorze ou quinze ans d'emprisonnement mais on n'est jamais sûr de rien. Je n'ai pas réussi à dire la vérité à mes enfants pendant très longtemps, je leur disais que leur père était en voyage. De temps en temps, je rédigeais des lettres que j'envoyais à notre adresse et je prétendais qu'elles venaient de lui. » Les familles sont également confrontées dans leurs recherches aux demandes habituelles des « intermédiaires », qui réclament de fortes sommes d'argent en échange d'informations ou de permis de visite. Cette manipulation est devenue très courante dans la plupart des cas de « disparition » en Syrie, ainsi que le démontrent les cas de « disparus » libanais.
Cas individuels de « disparition » Muhammad Jabr Ismaïl Abd al Ghani, un enseignant jordanien né en 1958, a « disparu » en Syrie le 11 juin 1982. Il se rendait apparemment de Jordanie au Liban via la Syrie pour se porter volontaire dans les rangs de l'OLP au moment de l'invasion israélienne du Liban. Il aurait été arrêté en Syrie et accusé de collaboration avec les Frères musulmans. Sa famille est sans nouvelles de lui depuis cette date. Un ancien prisonnier a affirmé en janvier 1998 aux proches de Muhammad Abd al Ghani que ce dernier était détenu dans la prison de Mezzé. Muhammad Jamal Taym, un étudiant jordanien d'origine palestinienne né en 1959, a « disparu » après avoir été arrêté en Syrie le 9 juillet 1980. Il faisait des études d'ingénieur à l'université d'Alep et habitait dans une maison en location. Le jour de son interpellation, Muhammad Taym avait apparemment quitté son logement à la demande de son propriétaire et il passait la nuit chez un ami. Les forces de sécurité syriennes ont fait une descente au domicile de ce dernier et ont arrêté toutes les personnes qui s'y trouvaient. Le père de Muhammad Taym a déclaré : « Nous avons appris son arrestation quinze jours plus tard et nous sommes immédiatement partis pour Alep. Nous avons pris contact avec les services de renseignements qui nous ont confirmé qu'il était détenu et nous ont indiqué son lieu de détention. Nous avons pu le voir pendant une heure environ ; il était évident qu'il avait été battu. Il nous a assurés qu'il serait libéré dans la semaine qui suivait, car il n'avait rien fait, mais nous ne l'avons pas revu. Quand nous sommes retournés à Alep trois mois plus tard, on nous a dit qu'il avait été transféré à Tadmor. Malgré tous nos efforts, nous n'avons réussi à obtenir aucune information à son sujet. Notre vie n'a plus jamais été la même. » Usama Bashir Batayna a « disparu » après avoir été arrêté à la frontière syro-libanaise le 10 septembre 1986. Cet adolescent, qui avait dix-sept ans au moment de son arrestation, était apparemment en vacances en Syrie. Sa famille est sans nouvelles de lui depuis cette date. Un ancien prisonnier a toutefois confirmé qu'Usama Batayna était détenu en Syrie dans la prison militaire de Mezzé. Munzir Sharif Qasim Nazal (surnommé Rex), garde du corps de Khalil al Wazir (Abu Jihad), qui était à l'époque responsable de la branche militaire du Fatah, a « disparu » en 1976 à Tripoli (Liban). Il aurait été arrêté par l'armée syrienne qui a pénétré au Liban à cette époque. La famille de cet homme est sans nouvelles de lui et ignore son lieu de détention. Elle l'a cru mort jusqu'à ce que des anciens prisonniers affirment qu'il était détenu dans une prison syrienne, probablement celle de Mezzé. Nuha Naim Ali, une Palestinienne née en 1965, institutrice d'école maternelle, a « disparu » au Liban pendant la première semaine de juin 1985. Après la prise du camp de réfugiés palestiniens d'Al Dauq par Amal pendant la « guerre des camps », Nuha Naim Ali et deux de ses amies ont tenté de fuir. L'une d'entre elles, Nadia Lutfi, aurait été tuée et la deuxième, Khayrieh al Doukhi, blessée. Nuha Ali a été arrêtée, apparemment par Amal, et livrée aux forces syriennes. On ignore tout de son sort. Le père de la jeune femme, Naim Muhi al Din Ali, avait « disparu » après la prise du camp palestinien de Tel al Zaatar au Liban par le parti Kataëb le 16 août 1976. Sa famille le croyait mort mais des informations non confirmées laissent à penser qu'il serait détenu en Syrie. Wafa Fahmi Ali Abidat, une Jordanienne d'origine palestinienne née en 1958, aurait été arrêtée en novembre 1986 à Damas, car on la soupçonnait d'espionnage au profit de la Jordanie. L'arrestation de cette femme était probablement liée à l'appartenance de son frère, Hani Fahmi Ali Abidat, au Fatah Conseil révolutionnaire (plus connu sous le nom de groupe Abu Nidal). Ce dernier a « disparu » après avoir été arrêté en octobre 1986 à Damas ou au Liban. Les autorités syriennes ont nié l'arrestation de Wafa Abidat et sa détention. Cette femme, qui était en quatrième année d'études dentaires à l'université de Damas et vivait en résidence universitaire, a « disparu » après son arrestation. Elle serait incarcérée à Damas, mais on ignore son lieu de détention. La famille de Wafa Abidat a reçu de nombreuses informations qui confirment que celle-ci est détenue dans une prison de Damas.
De la « disparition » à la « réapparition » Comme les cas exposés ci-après le démontrent, certaines personnes qui avaient « disparu » après leur arrestation présumée par les autorités syriennes « réappa-raissent » en détention dans une prison syrienne et sont parfois autorisées à recevoir la visite de leurs proches. Dans la plupart des cas, les prisonniers qui sont en contact avec leur famille ne sont pas informés des charges retenues contre eux ni autorisés à consulter un avocat. Leurs familles ignorent s'ils ont été jugés ainsi que la longueur de la peine prononcée. À la connaissance d'Amnesty International, ces prisonniers sont maintenus en détention arbitraire jusqu'à leur libération à la faveur d'une grâce présidentielle. Said al Hatamleh, ressortissant jordanien né en 1950, était membre du Parti populaire révolutionnaire, mouvement jordanien. Il a « disparu » après avoir été arrêté le 3 décembre 1985 à Deraa, en Syrie. Son frère, Saleh al Hatamleh, qui s'était rendu en Syrie pour aller à sa recherche, a lui-même été arrêté le 10 octobre 1993 et détenu pendant un an et sept mois ; il a été libéré en avril 1995. Pendant son incarcération dans la prison de Saidnaya, Saleh al Hatamleh a compris que son frère était détenu dans le même établissement. Said al Hatamleh, qui aurait été condamné à dix ans d'emprisonnement, est maintenu en détention après l'expiration de sa peine. Sa famille a été autorisée à lui rendre visite pour la première fois en 1994. Mustafa Dib Khalil (connu sous le nom d'Abu Taan), un Palestinien né en 1923, a été arrêté le 7 novembre 1983 dans le camp palestinien de Nahr al Bared, à proximité de Tripoli, au nord du Liban. Ce militant du Fatah aurait été chargé de coordonner les combattants palestiniens dans le nord du Liban. Une scission intervenue en 1983 au sein du Fatah a entraîné des luttes de factions entre le Fatah favorable à Arafat et le Fatah al Intifada apparemment soutenu par la Saïka et le FPLP-CG ainsi que par la Syrie. Mustafa Khalil aurait été arrêté et remis aux forces syriennes à l'issue des combats déclenchés par une force conjointe du FPLP-CG et du Fatah al Intifada, qui se sont déroulés autour des camps palestiniens de Badawi et de Nahr el Bared, dans le nord du Liban. Cet homme aurait été détenu quelques jours à Tripoli avant d'être transféré à Anjar, puis en Syrie. Il a été maintenu huit ans à l'isolement et a passé six autres années en détention au secret. Il a été autorisé en 1997 à rencontrer son fils pour la première fois depuis son arrestation ; il n'aurait reçu aucune autre visite par la suite. Certaines sources affirment que Mustafa Khalil a été jugé et condamné à la détention à perpétuité, mais il est apparemment incarcéré sans inculpation ni jugement. Abd al Karim Saleh Abu Aysha, un Jordanien né en 1936, qui avait quitté la Jordanie le 22 octobre 1980 pour se rendre en Syrie, n'en est jamais revenu. Ses proches ont effectué des recherches et appris qu'il était détenu en Syrie. Cette nouvelle n'a toutefois été confirmée qu'au bout de quinze ans, en 1995, quand les autorités jordaniennes ont informé sa famille que le gouvernement syrien avait reconnu qu'il était détenu en raison de ses liens avec les Frères musulmans [syriens]. On ignore si Abd al Karim Abu Aysha a été jugé et condamné ou s'il est détenu sans inculpation ni jugement. Sa famille ne l'a pas revu depuis son arrestation. Naim Ibrahim Muhammad Ali Musa, un étudiant jordanien né en 1959, a été arrêté le 9 juillet 1980 à Alep. Il étudiait l'économie à l'université d'Alep et aurait été interpellé par les services de renseignements syriens après avoir passé les examens semestriels. Sa famille, qui ne l'a pas revu depuis son arrestation, ignore son lieu de détention. Le gouvernement syrien a toutefoi s informé les autorités jordaniennes en 1984 que Naim Musa avait été arrêté « en raison de son appartenance à une organisation qui se livre à des activités antigouvernementales ». On ignore s'il a été inculpé et, s'il a effectivement été jugé, quelles ont été les suites de son procès. Il semble être maintenu en détention au secret sans possibilité d'entrer en contact avec sa famille.
Des injustices multiples Abd al Majid Nimr Zaghmout, un Palestinien né en 1944, a été arrêté en Syrie le 10 mai 1966 et accusé du meurtre pour des motifs politiques d'un officier de l'armée syrienne. Il a affirmé qu'on l'avait torturé pendant quarante-six jours pour le contraindre à avouer qu'il était l'auteur de cet assassinat et qu'il n'avait pas cédé. Il a été condamné à mort le 30 novembre 1966 à l'issue d'un procès inéquitable devant un tribunal militaire d'exception. La décision était définitive mais la peine n'a pas été appliquée. En 1988, Abd al Majid Zaghmout a adressé une requête au ministre de la Défense, le général Mustafa Tlass. Ce dernier a décrété le 14 mars 1989 que la peine capitale devait être commuée en une peine d'emprisonnement couvrant le temps qu'Abd al Karim Zaghmout avait passé en détention et il a ordonné sa remise en liberté s'il n'était pas détenu pour une autre cause. Abd al Majid Zaghmout n'a jamais été libéré ni inculpé d'une autre infraction pénale. Incarcéré depuis plus de trente-deux ans, il a observé une grève de la faim au début de 1996 puis à nouveau en octobre 1998 pour protester contre son maintien en détention. Les détenus sont victimes d'injustices multiples, entre autres la détention prolongée au secret, le recours à la torture et aux mauvais traitements, notamment pendant les interrogatoires, et surtout le fait de ne pas savoir s'ils reverront un jour le monde extérieur. Bien que la réapparition de certains détenus et les contacts qu'ils peuvent avoir avec leurs familles démontrent au moins qu'ils sont en vie et permettent de connaître leur lieu de détention, ils sont toutefois privés de leurs droits fondamentaux en tant que prisonniers ainsi que de toute réparation pour les violations subies au moment de leur arrestation ou pendant les interrogatoires. Aucun de ces prisonniers ne semble avoir eu la possibilité de contester le bien-fondé de son incarcération devant une autorité judiciaire compétente. Ils ont été maintenus en détention sans inculpation ni jugement pendant plus de dix ans ou condamnés à l'issue de procès iniques. Les accusés ne sont en effet pas assistés d'un avocat et ils ne disposent pas du temps nécessaire à la préparation de leur défense ; la présomption d'innocence n'est pas garantie et les prisonniers ignorent le plus souvent la sentence prononcée contre eux. Un ancien prisonnier palestinien a relaté dans les termes suivants pour Amnesty International son « procès », qui s'est déroulé en 1988 : « Ils nous ont emmenés à 8 heures, les yeux bandés, pour le procès, qui s'est déroulé dans le bureau du directeur de la prison. Quand mon tour est venu, vers 13 h 30, ils m'ont appelé et ils m'ont emmené dans le bureau. Ils m'ont enlevé le bandeau en entrant dans la pièce et j'ai vu le tribunal, qui était composé d'un général, président du premier tribunal militaire, et de son adjoint ainsi que du directeur de la prison et d'un greffier. Ils m'ont fait asseoir sur une chaise en bois. Après avoir relevé mon nom, ma nationalité et d'autres renseignements, ils m'ont demandé quels étaient les faits qui m'étaient reprochés. J'ai répondu que je ne savais pas. Le président a dit que j'étais accusé d'activités subversives dans le pays [en Syrie]. J'ai répondu : "Ce n'est pas vrai." Il a dit : "Nous savons très bien ce qu'il en est, vous pouvez sortir maintenant." C'était fini, je n'ai pas su quelle peine avait été prononcée. » Les prisonniers ne sont le plus souvent pas informés de la durée de leur peine. Même lorsqu'ils parviennent à connaître la sentence prononcée, ils ne sont pas toujours libérés à l'expiration de leur peine ni en cas d'acquittement. Un ancien prisonnier jordanien, arrêté dans les années 90, a expliqué qu'il avait comparu devant un tribunal militaire composé de deux généraux, du chef de la Section militaire chargée des interrogatoires et d'un représentant du palais présidentiel. Un procureur militaire était présent mais il n'y avait apparemment aucun avocat de la défense. Cet homme a déclaré : « Quand j'ai comparu devant le tribunal, on m'a demandé mon nom et ma profession, entre autres renseignements, et on m'a dit que j'avais été accusé d'espionnage pour le compte des services de renseignements jordaniens. J'ai nié les faits qui m'étaient reprochés [...]. Ils m'ont ensuite donné l'ordre de partir en disant que la sentence serait prononcée un mois plus tard. J'ai dû verser de l'argent à un gardien pour connaître la décision : j'avais été acquitté. » Ce prisonnier n'a toutefois été libéré que plus tard à la faveur d'une amnistie présidentielle. Certains détenus auraient été condamnés à l'issue de tels « procès » à des peines de dix ou quinze ans d'emprisonnement, d'autres auraient été condamnés à la détention à perpétuité, voire à la peine capitale. Des prisonniers ont par ailleurs été maintenus en détention malgré une décision de remise en liberté. La plupart des détenus auraient été torturés et maltraités notam-ment pendant les interrogatoires immédiatement après leur arrestation. Les prison-niers détenus dans la prison de Tadmor seraient régulièrement victimes de torture et de mauvais traitements. Conclusion Bien que plusieurs centaines de prisonniers politiques aient été élargis ces dernières années, et plus récemment au premier semestre 1998, des centaines de prisonniers politiques syriens et étrangers, dont certains sont des prisonniers d'opinion, sont toujours maintenus en détention. Le présent rapport est consacré aux cas de Libanais, de Palestiniens et de Jordaniens enlevés ou faits prisonniers par les services de renseignements syriens au Liban, en Syrie ou à la frontière syro-jordanienne. Tous ces cas sont entourés du secret. La plupart des personnes dont le cas est exposé dans le présent rapport ont été prises dans une série de conflits politiques complexes dont certains sont maintenant résolus. Elles restent prisonnières de cet héritage et sont privées de leurs droits fondamentaux, voire du droit d'être reconnues comme êtres humains. La majorité des prisonniers politiques libanais et palestiniens ont été arrêtés ou enlevés par les forces armées syriennes déployées au Liban, et transférés en Syrie en dehors de tout cadre légal. Ils ont été maintenus en détention arbitraire des années durant ou ont été soumis à des procès sommaires et qui se déroulaient en secret devant des tribunaux militaires, le plus souvent pour des accusations graves. D'autres ont été arrêtés en Syrie sans mandat et détenus au mépris des règles de droit. Tous ces prisonniers politiques sont privés des droits les plus fondamentaux garantis par les normes internationales, ce qui constitue une infraction aux obligations de la Syrie découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) auquel elle est partie. Citons parmi ces droits celui de consulter un avocat, d'être présenté à un juge et d'avoir la possibilité de contester le bien-fondé de leur détention. La majorité de ces prisonniers sont maintenus dans ces conditions depuis des années et dans certains cas depuis plus de vingt ans. Cette incarcération arbitraire constitue une violation flagrante des normes internationales relatives aux droits humains et notamment des articles 9-1 et 9-3, 14-2 et 14-3 du PIDCP . En outre, aucun de ces détenus n'aurait été autorisé à consulter un avocat comme le prévoient les normes internationales, notamment l'article 14-3-b du PIDCP, les principes 15, 17-1 et 18-1 à 4 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement (Ensemble de principes des Nations unies) et la règle 93 de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus adoptées par les Nations unies. L'article 72 du Code de procédure pénale syrien, qui garantit une assistance juridique, reconnaît au détenu le droit de consulter son avocat à tout moment et dans le respect de la confidentialité, hormis en cas d'espionnage. De très nombreuses familles vivent depuis plus de vingt ans dans l'angoisse de ne pas connaître le sort de leurs proches ni leur lieu de détention. Elles reçoivent des informations contradictoires, sont victimes de chantage et de manipulation qui exploitent leur volonté désespérée d'obtenir le moindre indice à propos de leurs proches. Les contacts avec le monde extérieur sont pourtant un droit fondamental garanti par les normes internationales, ainsi qu'une protection contre la torture. Le droit d'un prisonnier de communiquer sans délai avec sa famille est garanti par le principe 16-1 de l'Ensemble de principes des Nations unies ainsi que par la règle 92 de l'Ensemble de règles minima . Par ailleurs, dans la plupart des cas exposés dans le présent rapport, les autorités syriennes ont constamment refusé de reconnaître la détention des personnes arrêtées par leurs forces de sécurité ou qui leur avaient été livrées par d'autres groupes. On ignore tout du sort de ces personnes, qui semblent avoir « disparu ». Amnesty International craint que certaines n'aient trouvé la mort dans des circonstances non élucidées ou n'aient été exécutées en secret ; d'autres sont apparemment toujours vivantes et maintenues en détention au secret. Ces « disparitions » constituent une violation des normes internationales relatives aux droits humains, notamment de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée sans vote par la résolution 47/133 de l'Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1992. Les autorités syriennes violent toutes les dispositions de cet instrument en persistant à refuser de reconnaître l'incarcération de ces personnes et en prétendant ne pas connaître le lieu de détention de prisonniers dont elles ont la charge. Recommandations 1 Amnesty International prie instamment le gouvernement syrien de réexaminer le cas de tous les prisonniers politiques libanais, palestiniens et jordaniens avec les objectifs suivants : a) libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d'opinion ; b) libérer immédiatement tous les prisonniers politiques incarcérés sans inculpation ni jugement ; en les maintenant en détention prolongée, les autorités syriennes ont démontré qu'elles n'avaient aucune intention de les juger ; c) faire connaître le déroulement des procès de tous les prisonniers politiques qui purgent des peines d'emprisonnement ainsi que les accusations retenues contre eux. Les détenus qui ont été condamnés par des tribunaux militaires à l'issue de procès sommaires et qui se sont déroulés en secret devraient être libérés, à moins qu'ils ne soient rejugés conformément aux normes internationales d'équité ; d) Toutes les personnes placées en détention dans le cadre d'un conflit militaire dans lequel les forces syriennes ont été impliquées pendant la guerre civile au Liban devraient être remises aux autorités libanaises ou palestiniennes soit élargies. 2 Les familles de tous les ressortissants étrangers détenus en Syrie devraient être informées du lieu de détention de leurs proches et des charges retenues contre eux. Elles devraient être rassurées sur leur sécurité et leur bien-être et autorisées à les rencontrer régulièrement.
3 Les détenus devraient avoir la possibilité de consulter l'avocat de leur choix et de recevoir les soins médicaux nécessités par leur état. Ils devraient également être traités avec humanité. 4 Le gouvernement syrien devrait faire connaître le sort et le lieu de détention de toutes les personnes « disparues » après avoir été arrêtées ou enlevées par les autorités syriennes ou avec leur consentement ou qui leur ont été livrées. 5 Les familles des prisonniers qui ont été exécutés devraient être informées du sort de leurs proches afin de connaître la procédure judiciaire ayant débouché sur une condamnation à mort et, le cas échéant, de la contester. Les restes de leurs proches devraient dans tous les cas leur être restitués aux fins d'inhumation. 6 Les autorités libanaises, palestiniennes et jordaniennes devraient enquêter sur le sort et le lieu de détention de leurs ressortissants détenus en Syrie ou ayant « disparu » dans ce pays. Elles devraient évoquer cette question avec les autorités syriennes et tenir les proches des détenus informés de leurs démarches.
La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty Inter-national, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre Syria: Caught in a Regional Conflict: Lebanese, Palestinian and Jordanian Political Detainees in Syria. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - janvier 1999. Vous pouvez également consulter le site ÉFAI sur internet : http://efai.i-france.com Pour toute information complémentaire veuillez vous adresser à :