Querelle chez les maronites
Mathieu Perreault
La Presse (Canada-Montereal)
24/11/2001
À peine cinq ans après un scandale de fraude fiscale, l'église maronite de Montréal
est à nouveau en crise. Une lutte de pouvoir entre les fidèles d'une paroisse et
l'évêque Joseph Khoury a jeté un prêtre au chômage et provoqué la fermeture d'une
église.
Au coeur du problème: les 400000$ qu'ont amassés
les fidèles de la paroisse Saint-Maron pour s'acheter une église. L'évêque Khoury veut
incorporer cette somme aux 250000$ recueillis ailleurs à Montréal pour une cathédrale.
Après avoir négocié pendant trois ans avec le prêtre de Saint-Maron, Richard Daher, Mgr
Khoury a pris le contrôle direct de la paroisse Saint-Maron et a résilié le bail qui
permettait au père Daher d'utiliser une église catholique de la Petite-Patrie,
Saint-Arsène. Le curé de Saint-Arsène, Claude Julien, a dans un récent bulletin
paroissial pris parti pour les fidèles de Saint-Maron, dont un certain nombre resteront
à Saint-Arsène.
Mais les fidèles rebelles ne lâchent pas prise. Ils ont demandé l'aide du nonce
apostolique, le représentant du pape au Canada. Ils ne voient pas pourquoi, comme les
autres catholiques, ils ne pourraient pas administrer eux-mêmes le produit des quêtes
dans leur communauté.
Les 40000 maronites de Montréal -des catholiques de rite oriental- étaient jusqu'en 1995
regroupés en une seule paroisse, administrée directement par l'évêque du Canada, qui
réside à Montréal. Mais à la suite d'une fraude fiscale avec des reçus de charité
impliquant l'ordre religieux des antoniens maronites, au milieu des années 90, l'évêque
Georges Abi-Saber avait décidé de séparer de l'évêché la comptabilité de la
paroisse de Saint-Maron, dans l'espoir qu'une gestion plus proche des fidèles restaure
leur confiance. Mgr Khoury avait été nommé tout juste après, en 1996.
«Nous avons travaillé fort pour amasser de l'argent pour une église, déplore Rémi
Habak, un paroissien de Saint-Maron. Mais quand au début de l'année nous avons choisi
une église, et demandé à Mgr Khoury la permission de l'acheter, il a mis du
temps à nous répondre. Puis, en juin, nous avons appris qu'il voulait acheter une
église beaucoup plus chère. Nous n'avons pas d'objection de contribuer à une
cathédrale, en juste proportion de notre taille, comme les autres paroisses maronites du
Canada. Mais nous voulons conserver le contrôle sur l'argent que nous avons recueilli
nous-mêmes.»
Devoir d'obéissance
Le principal intéressé, Mgr Khoury, n'a pas voulu parler à La Presse,
mais un de ses collaborateurs, l'ancien prêtre de la paroisse Sainte-Odile, Sami Farah, a
accepté de donner son point de vue. Le père Farah fait valoir que l'église choisie par
Saint-Maron est située à quelques coins de rue de la cathédrale choisie par Mgr
Khoury (l'église Sainte-Madeleine-Sophie-Barat, sur Gouin). «Toute la communauté
maronite de Montréal est pour la cathédrale, dit le père Farah. Saint-Maron veut faire
comme une secte.» De plus, il réfute une allégation de M. Habak qui veut que
Sainte-Sophie n'a pas fait d'effort pour recueillir des fonds pour la cathédrale. «Nous
avons amassé 250000$ depuis fin 1999, quand Mgr Khoury a trouvé la
cathédrale», dit le père Farah. Sainte-Odile fermera aussi début décembre.
M. Habak et le père Daher ont aussi l'impression que Mgr Khoury a fondé la
paroisse Sainte-Odile à Saint-Laurent en 1997 pour nuire à Saint-Maron. «Nous avons
perdu 80 familles sur 200», dit le père Daher. Mgr Khoury ayant résilié le
bail -sans l'avertir- avec l'église catholique Saint-Arsène, le prêtre se retrouvera le
30 novembre sans mission. «Je veux aller à Rome pour me défendre, dit le père Daher.
Je vais demander à la Congrégation des églises orientales de me permettre de faire de
la pure pastorale à Montréal.» Le père Daher hésite à donner son opinion sur le
père Farah, parce qu'il a étudié avec lui à Beyrouth.
Vu de Beyrouth, la crise de l'église maronite montréalaise apparaît comme un choc des
cultures. «Moi aussi, j'avais eu de la difficulté à m'adapter en arrivant au Canada, en
1989», explique l'ancien évêque, Georges Abi-Saber, en entrevue téléphonique. «J'en
ai parlé récemment avec Mgr Khoury. Il est difficile de se débarrasser de la
mentalité orientale, et d'accepter qu'en Amérique du Nord les paroissiens contestent
parfois le pouvoir. Mais je crois que Mgr Khoury n'a pas le choix d'accepter
que les paroissiens gèrent leur argent. D'ailleurs, il m'a dit qu'il avait essayé de
démissionner et de retourner au Liban. Je crois personnellement que ça va s'arranger.»
Mgr Abi-Saber a souvenir que le père Daher est «obéissant».
Mgr Khoury s'est attardé à Rome plusieurs semaines après la conclusion du
synode des évêques, fin octobre. Mais jamais La Presse n'a pu le joindre, ni à
son domicile romain, ni au Collège maronite. Il ne semble pas plus apprécier
l'inquisition de la presse canadienne que l'esprit de contradiction de ses fidèles.