IME PECTORE
By: Joseph Mantoura
14/9/02
Il est mort notre grand rêve il y a vingt ans déjà, cette utopie qui engendrera un
libanais conscient et investi du devoir « de résister à nimporte quel
étranger, à nimporte quel occupant, à nimporte quel agresseur qui
essayerait, de près ou de loin, de léser les valeurs et le patrimoine du peuple libanais
». Dans son discours du 14 septembre 1982, quelques minutes avant son assassinat, Bachir
Gemayel, président élu de la république libanaise, avait lancé son plus grand défi :
Créer une nation libanaise.
Bachir Gemayel nest pas seulement lesprit dun peuple comme le considéra
le Père Abou, il est sûrement un peu plus que son entendement, il incarne son idéal du
soi. Bachir promeut labnégation de lêtre pour celle de la société, exhorte
la substitution du culte de la personnalité pour celle de la nation et incite au rejet du
symbolisme linguistique pour celui du pragmatisme concret. Bachir agissait se conformant
stricto sensu à ses convictions et valeurs, quelques fois même, dénigrant les
contraintes pesantes de la « real politic » voire à ses propres dépens.
Il avait ce franc parler attachant qui laissait filtrer une authenticité sans retenue, ce
timbre encore adolescent et si désarmant témoin dune puérilité résistante à
toutes les épreuves et une émotivité encore innocente qui rassurait tant la candeur
restait flagrante. Il détenait ce charisme inné entretenu par l'incorruptibilité
de son aspiration, cette vision claire et simple de la patrie à défendre et, surtout,
cette flamme patriote ardente et contagieuse quil entretenait par son
renoncement et celui des êtres les plus chers.
Bachir fut, sans aucun doute, le leader chrétien le plus adulé de lhistoire
récente libanaise. Il nest pas né héros, loin de là, Bachir est un homme
ordinaire qui chérissait un rêve extraordinaire, et son passage, bien que succinct,
telle une étoile filante, dans le sombre paysage politique libanais, a laissé des
stigmates si profonds quils incommodent les néo-politiciens libanais qui
cherchent, sans vergogne, à effacer son image. Sil fallait profiler un
vu, pieux, à loccasion de ce 14 septembre, ce serait celui dexaucer la
promesse de Bachir, celle de la « nation-patrie ». Le rêve nest pour
linstant non prohibé. Malheureusement, les intérêts politiciens, la passion
communautaire et le clientélisme continuent de grever le sort tragique du Liban. Bachir a
dû se retourner dans sa tombe, pour plus dune fois.
Des vux à loccasion de ce triste rendez-vous avec lhistoire, nous en
prononçons en centaines. Particulièrement celui dune coalition de leaders de
lopposition qui, au lieu de se livrer à de traîtres croche-pieds entre-eux, ferait
mieux de réunir ses tribus polythéistes, ses minorités tonitruantes et ses one-man-show
théâtraux pour quà lunisson sélève une seule volonté générale,
comme lavait imposé Bachir auparavant.
Mais ce rêve, ce grand rêve est mort il y a vingt ans déjà.